Mercredi 5 septembre, Orianne Lopez a couru le 100 mètres aux Jeux paralympiques de Londres. Cette jeune femme âgée de 23 ans, née avec une jambe atrophiée, s’est lancé ce défi quand elle a vu courir l’Alésien Dominique André, champion olympique et champion du monde handisport dans les années 2000. La jeune fille l’a contacté alors qu’elle était encore lycéenne. Sur ses conseils, elle s’est tournée vers un prothésiste montpelliérain afin de trouver l’appareillage qui lui permettrait de passer au haut niveau.La demande est simple, la réponse beaucoup plus complexe. Car, comme l’explique Dominique André, « vous pouvez avoir la prothèse la plus performante du monde, si elle ne s’emboîte pas à la perfection sur le membre, vous avez des douleurs et ne pouvez rien en faire. Le prothésiste joue donc un rôle fondamental ».

Marcenac – Ducros

Dans les deux cas, les sportifs ont fait confiance à Patrick Ducros. C’est lui qui avait réalisé l’emboîture de Dominique André lorsqu’il s’est lancé dans la course. Quand Orianne Lopez est venue le voir à son tour, le prothésiste a accepté de chercher, là encore, la solution. A chaque fois, l’aventure est unique, chaque prothèse étant un subtil équilibre entre une emboîture et une lame.

Patrick Ducros a commencé plus simplement son métier d’orthoprothésiste. Il se forme dans une école privée dans les années 1970, à une époque où le métier n’est pas encore cadré. « C’est le ministère des anciens combattants qui délivrait les agréments », se souvient-il. Il reprend ensuite avec un associé l’entreprise paternelle créée en 1959, spécialisée dans les orthèses (qui outillent un membre déficient), les prothèses (qui remplacent un membre) et les corsets.

Pendant des années, il outille les handicapés avec le souci d’améliorer leur vie quotidienne : il s’agit de marcher, pas encore de courir. Pour se perfectionner, il décide d’aller voir ce qui se fait ailleurs, parcourt dans les années 1980 les congrès en Europe et aux Etats-Unis. « J’ai pu dialoguer avec des chercheurs de l’hôpital des vétérans de l’armée américaine, à Los Angeles. J’y ai appris des techniques d’emboîtures qui n’existaient pas en France, qui permettent de respecter davantage l’anatomie musculaire des amputés fémoraux et minimisent les douleurs de charge. »

C’est alors que Dominique André vient le voir et l’amène à s’intéresser à la question du sport de haut niveau. « Dans les années 1980, se souvient le sportif, les Américains ont inventé la lame carbone, qui permet une restitution d’énergie sans équivalent jusque-là. Mais ils inséraient la lame sur l’avant de la jambe. Cela ne me convenait pas, c’était beaucoup trop contraignant pour le genou. » Le sportif se tourne alors vers le prothésiste qui le suit depuis l’âge de 14 ans. Patrick Ducros réfléchit à un autre système d’accroche, la lame s’insérant maintenant à l’arrière de la jambe, entraînant moins de contrainte mécanique sur le genou.

Le duo, associé à une entreprise lyonnaise, brevette alors l’invention et dépose la marque Dynapro. Depuis, c’est ce système qui s’est généralisé dans le monde handisport. « L’intérêt, explique Patrick Ducros, c’est que cela permettait aussi un coût de réalisation quatre fois inférieur au pied américain, à une époque où ces équipements n’étaient pas pris en charge par la Sécurité sociale. » Depuis, le système a été nettement amélioré. « C’est le prothésiste qui pousse les gens à être inventifs, poursuit Dominique André. Avec Patrick Ducros, on est allés chercher des spécialistes des métaux composites pour les prothèses, et même une société qui fabriquait des stabilisateurs de caravane. Le dirigeant a accepté de réfléchir à notre problématique. »

Le duo devient ainsi un trio. Au sportif et au prothésiste se joint l’ingénieur Fabien Tourneux, créateur à Alès de la société Re-flexion composites. Il travaille à l’époque avec l’Ecole des mines d’Alès pour analyser le mouvement et bien comprendre les renvois d’énergie des lames en décomposant la façon dont, à chaque étape, la lame s’écrase au sol. Aujourd’hui, Re-flexion composites est l’unique fournisseur français de lames composites pour les athlètes des Jeux paralympiques de Londres.

A côté du sport de haut niveau, Patrick Ducros a toujours gardé un oeil sur l’évolution des techniques qui ont révolutionné le monde des prothèses. Il a ouvert un centre de formation à Montpellier afin que son savoir-faire profite à toujours plus de patients. Car à présent, avec les genoux hydrauliques, les prothèses électroniques ou informatisées, on peut apporter des réponses de plus en plus adaptées aux demandes des handicapés et rendre ainsi leur vie de moins en moins dépendante.

« Aujourd’hui, beaucoup de jeunes qui veulent courir viennent me voir, mais je trouve qu’à 14-15 ans ils sont trop jeunes. J’essaie de les faire patienter… même si je finis toujours par leur prêter une lame de course, raconte Patrick Ducros. Et je leur donne un autre conseil : entraînez-vous avec les valides, près de chez vous, c’est le plus simple et le plus stimulant. »

 

Remerciements à Anne Devailly – LE MONDE SCIENCE ET TECHNO.